La pluie tombait sans répit, fouettant les vitres comme des doigts impatients. Thomas pressa le pas, son manteau trempé collant à sa peau, quand soudain… il la vit.

Une silhouette frêle, figée sous l’averse.
Une petite fille, seule, immobile, trempée jusqu’aux os. Ses boucles sombres collaient à ses joues, mais ce n’était pas ce qui frappa Thomas. Non… c’étaient ses yeux.
Un regard qui ne tremblait pas. Trop calme. Trop sage pour appartenir à une enfant d’à peine dix ans.
Il s’arrêta net, le souffle coupé.
— « Est-ce que tu es perdue ? » demanda-t-il, la voix prudente.
La fillette leva doucement la tête. Ses lèvres s’ouvrirent, hésitantes, avant de murmurer une phrase si étrange, si glaciale, que Thomas sentit son cœur s’arrêter.
— « Il est derrière toi… »
Un frisson parcourut son échine. Il se retourna d’un geste brusque, mais derrière lui… rien. Le vide. Seulement l’ombre des arbres tordus par le vent et la pluie battante.
Quand il se retourna vers la petite, elle n’avait pas bougé. Ses yeux étaient toujours plantés dans les siens, insondables.
Autour, des passants pressés jetaient à peine un coup d’œil. Mais ceux qui s’arrêtaient… échangeaient des regards troublés. Comme s’ils avaient entendu quelque chose d’anormal.
— « Qu’est-ce que tu viens de dire ? » répéta Thomas, le souffle court.
La petite cligna des yeux. Ses lèvres remuèrent à nouveau. Et cette fois, il n’y avait pas d’erreur :
— « Je t’ai dit… qu’il est derrière toi. »
La panique monta dans la gorge de Thomas. Ses mains devinrent moites.
Quelque chose n’allait pas.
Les passants s’étaient regroupés à quelques mètres, attirés par la scène. Chacun échangeait des murmures, incapables de comprendre ce qui se jouait. Une tension électrique, presque palpable, flottait dans l’air.
Thomas fit un pas en arrière, son regard oscillant entre la fillette et l’obscurité derrière lui.
La pluie redoubla d’intensité, comme si le ciel lui-même voulait effacer cette rencontre.
Mais alors… la petite esquissa un sourire. Léger. Presque imperceptible. Et murmura d’une voix plus douce encore, comme une confidence destinée uniquement à lui :
— « Tu ne devrais pas être ici… »
Thomas sentit son ventre se nouer. Ce n’était pas une enfant ordinaire. Quelque chose dans son regard, dans sa voix, portait un poids trop lourd, une vérité qu’il n’était pas censé entendre.
Le silence se fit dans la rue. Même la pluie semblait retenir son souffle.
Et, à cet instant précis, Thomas comprit que sa vie venait de basculer.
Thomas recula d’un pas, son cœur battant à tout rompre. La petite fille, immobile sous la pluie battante, semblait défier le temps lui-même. Ses yeux sombres brillaient comme si elle portait un secret trop lourd pour son âge.
— « Qui es-tu ? » demanda Thomas, sa voix tremblante, presque un murmure.
La fillette ne répondit pas tout de suite. Elle leva les yeux vers le ciel, comme si elle puisait sa force dans l’orage. Puis, d’un ton étonnamment posé, elle dit :
— « Je… je peux voir ce que les autres ne voient pas. »
Thomas sentit un frisson glacé parcourir sa colonne vertébrale. Voir ce que les autres ne voient pas… ? Ses mains tremblaient. Il recula encore, glissant dans une petite flaque d’eau. La pluie continuait de tambouriner sur son manteau, mais il ne l’entendait plus. Son monde s’était réduit à la fillette et à ce mystère impossible à comprendre.
— « Comment ça ? » murmura-t-il, incapable de détacher son regard du sien.
La petite baissa les yeux, ses doigts jouant avec une mèche de cheveux trempée. Et soudain, elle pointa quelque chose derrière lui.
— « Là… derrière toi… ils sont là. »
Thomas se retourna, le souffle court, mais il n’y avait… rien. Rien que l’obscurité, le vent qui balayait les feuilles mortes et la pluie battante. Pourtant, une sensation étrange lui nouait l’estomac, un frisson qu’il n’avait jamais ressenti. Il eut l’impression que les murs de la ville s’étaient rapprochés, resserrant son cœur dans une étreinte glaciale.
Il se retourna vers elle, cherchant des explications.
— « Tu… tu veux dire… un danger ? » balbutia-t-il.
La fillette hocha lentement la tête, son regard maintenant empli d’une gravité impossible pour son âge.
— « Il vient pour ceux qui ne croient pas… »
Thomas sentit un mélange de peur et d’urgence le submerger. Tout dans son instinct lui criait de protéger cette enfant, mais il ignorait même de quoi il devait la protéger.
Soudain, un bruit derrière eux fit sursauter les passants : un craquement sec, comme si quelque chose — ou quelqu’un — se déplaçait dans l’ombre. Les gens autour eurent un mouvement de recul. La pluie semblait se faire plus forte, plus oppressante, comme si elle essayait de masquer la présence de l’invisible.
La fillette serra ses petites mains contre sa poitrine et murmura :
— « Ne vous retournez pas… faites-moi confiance. »
Thomas sentit son courage vaciller. Ses jambes étaient prêtes à fuir, mais quelque chose dans sa voix le maintint immobile. Il inspira profondément, essayant de calmer le battement effréné de son cœur.
Alors, d’un geste rapide, elle s’approcha de lui et dit :
— « Je peux vous aider… mais vous devez écouter attentivement. Tout se joue maintenant. »
Thomas sentit un mélange d’incrédulité et de fascination. Comment une enfant pouvait-elle parler ainsi, avec une telle certitude, dans une situation où même les adultes les plus courageux auraient perdu leurs moyens ?
— « Comment… comment peux-tu savoir ? » demanda-t-il, la voix presque un souffle.
La fillette le regarda droit dans les yeux, et pour la première fois, un sourire léger effleura ses lèvres, comme une lueur fragile dans l’obscurité.
— « Parce que je vois les vérités que personne d’autre ne voit… »
Thomas comprit alors : ce n’était pas juste une enfant perdue sous la pluie. Elle portait un monde invisible, un poids de secrets et de présages qu’il ne pouvait ignorer. Il sentit une responsabilité immense s’abattre sur ses épaules. Protéger la fillette, comprendre ce qu’elle voyait… et peut-être, sauver plus que sa propre vie.
La pluie continuait de tomber, mais Thomas n’entendait plus que le silence chargé de tension entre eux. Le vent se taisait, le monde semblait suspendu dans une attente lourde de conséquences. Et dans ses yeux, il lut une vérité qu’il ne pourrait jamais oublier.
La petite fille, trempée mais immobile, lui tendit doucement la main :
— « Si tu veux survivre à ce qui vient… suis-moi. »
Thomas la regarda, hésitant, puis sentit son instinct le pousser à accepter. Ses mains se serrèrent autour de la sienne, glacées mais résolues.
Le monde autour d’eux continua de tourner, mais pour Thomas, quelque chose venait de changer à jamais. Le frisson dans son dos n’était plus seulement la pluie… c’était le début d’un mystère qui le dépasserait entièrement.